Home A la une Programme de réparation / Mme Awa Nana-Daboya « Nous n’inventons rien, la CVJR a déjà tout calculé »

Programme de réparation / Mme Awa Nana-Daboya « Nous n’inventons rien, la CVJR a déjà tout calculé »

Programme de réparation / Mme Awa Nana-Daboya « Nous n’inventons rien, la CVJR a déjà tout calculé »
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Le programme de « réparation » l’une des principales recommandations de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), a été officiellement lancé le 24 mars à Lomé par le Premier ministre Selom Komi Klassou. Le programme de réparations concerne « toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, ayant subi un préjudice du fait de violences à caractère politique, de violations graves des droits de l’Homme, durant la période allant de 1958 à 2005 ». Ce programme de réparation comporte plusieurs phases. La première prend en compte les événements de 2005 subdivisés en deux sous-­événements : les troubles sociopolitiques suite au décès du président Gnassingbé Eyadéma le 05 février 2005 et les troubles socio­politiques suite à l’élection présidentielle du 24 avril 2005. Pour ces deux événements de 2005, environ 7.057 victimes ont été recensées. La somme de 2 milliards de F.CFA reçue du gouvernement par le Haut Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN) servira à indemniser 2.475 victimes. Le reste des victimes de 2005, soit 4.582, sera indemnisé lors de la prochaine tranche. Au total 22.415 victimes ont été identifiées par la CVJR sur la période de 1958 à 2005.

Pour cerner tous les contours de ce programme, l’Agence Savoir News a approché la présidente du HCRRUN Mme Awa Nana­Daboya

Savoir News : Dans votre discours marquant le lancement officiel de la mise en œuvre du Programme de réparation le 24 mars dernier, vous avez mis l’accent sur le caractère symbolique des réparations qui seront faites à l’endroit de victimes. Que mettez-­vous dans le mot « symbolique » ?

Mme Awa Nana­Daboya : Je remercie l’Agence Savoir News pour sa démarche, visant à éclairer l’opinion nationale et internationale. Vous savez, nous sommes dans le cadre de la réparation des préjudices subis par des personnes. Pensez­-vous qu’on peut réparer une personne qui a subi des préjudices. Nous avons souvent l’habitude de prendre comme exemple, cette femme qui, au moment des troubles socio­politiques, a fait l’objet d’un viol, acte à l’issue duquel elle a contracté le vih/Sida. Au bout d’un mois, cette dernière se rend compte qu’elle est enceinte. Ce viol a été suivi de maltraitance et de violences. Pensez-­vous qu’on peut réparer cette femme ? Car réparer, c’est remettre en état. On ne peut pas la remettre dans son état, parce qu’elle s’est retrouvée enceinte d’un enfant dont elle ne connaît pas le père, elle est porteuse d’une maladie, elle est marquée à vie. Donc en matière de justice transitionnelle, on met en avant la nécessité de pardonner et d’accepter de tourner la page et de penser à l’avenir, beaucoup plus calme. Car pardonner n’a pas de prix. Nous héritons aujourd’hui d’un dossier de la CVJR, avec pas mal de victimes et des préjudices alignés auxquels on a attribué des montants symboliques. C’est une manière de montrer qu’on compatit à leurs douleurs. Vous savez, en matière de troubles de ce genre, il n’y a pas d’auteur X. En matière de justice transitionnelle, c’est l’Etat qui a failli à sa mission de porter assistance et protection à ses citoyens. C’est l’Etat qui a failli dans sa gouvernance, et aujourd’hui, après avoir reconnu sa responsabilité et présenté ses excuses, met la main à la poche pour soulager les douleurs des victimes, en leur payant de simples montants. L’aspect symbolique, représente la volonté du gouvernement de demander pardon et la volonté des victimes d’accepter de pardonner et de tourner la page pour renouer un nouveau contrat social avec l’Etat. Et même en justice classique, on parle de condamnation au franc symbolique.

Y­ a-­t-­il des activités que compte mener le HCRRUN en prélude à l’étape proprement dite des indemnisations ? Si oui quels sont les objectifs poursuivis par le HCRRUN à travers ces activités en amont ?

Par rapport à ce que je viens de dire, il faut d’abord aller expliquer ce symbolisme aux populations. Il faut aller vers ces victimes qui sont entourées des membres de leurs familles pour leur expliquer notre mission, celle de conduire ce processus de réparation et aboutir à la réconciliation. Donc, il faut préparer tout ce monde. D’où la nécessité d’une tournée pour échanger avec les populations, les amener à comprendre le caractère symbolique de ces réparations. Nous irons dans les huit régions prévues par la CVJR où nous allons nous appuyer sur des membres des comités de paix installés, grâce à l’appui du PNUD dans toutes les préfectures. Par ailleurs, la CVJR a aussi insisté sur les offices religieux. Ainsi, des actions seront menées par toutes les religions pour laver le sang qui a indûment coulé sur le sol de nos aïeux. Des libations, des offrandes et des prières seront également organisées par des religions traditionnelles pour apaiser les cœurs des victimes, car nous sommes en Afrique, et ces choses-là, nous y croyons durement. Vous savez bien que notre mission : c’est la réconciliation. Or avant de se réconcilier, il faut se concilier avec soi-même d’abord. Et on ne peut se concilier qu’en invoquant Dieu, en priant. Donc, ce sont des activités qui seront menées, avant la phase proprement dite des indemnisations. Et pour cette phase, il y a une liste établie par la CVJR, avec des montants bien mentionnés. Nous avons ciblé trois centres et le moment venu, ces victimes seront conviées pour recevoir ces montants symboliques, tels que préconisés par la CVJR.

Mais si vous menez toutes ces activités préliminaires, combien vous restera-­t-il ?

Nous n’inventons rien, la CVJR a tout calculé. Donc, il y a un fonds de fonctionnement alloué pour mener toutes ces activités. Le HCRRUN respectera rigoureusement son cahier de charges.

En se référant toujours à votre discours du 24 mars 2017, on sait que 2475 victimes seront concernées par le montant initial de deux (2) milliards de FCFA alloués par l’Etat. Ce qu’on ignore par contre est comment le HCRRUN a pu sélectionner les victimes ?

Nous avons hérité d’un programme de réparation élaboré par la CVJR où chaque victime est déjà catégorisée, avec des montants précis. Pour ce début, nous n’avons fait que sélectionner des victimes de 2005 dont les montants sont inférieurs à un million. Nous allons afficher tous les noms, le moment venu, et quand les victimes passeront, elles verront devant leurs noms, les montants afférents.

Et comment avez­-vous déterminé les montants ?

Nous n’avons rien calculé. La CVJR a déjà tout fait : les victimes et les montants. Devant chaque victime, a été mentionné un montant. Nous sommes seulement là pour appliquer ce qu’a fait la CVJR. Nous ne changeons rien.

Le principal objectif visé par le HCRRUN, c’est la réconciliation entre les filles et les fils de ce pays. Mais d’aucuns sont un peu sceptiques arguant que pour une vraie réconciliation, les « présumés auteurs » des violations des droits humains connus par le Togo doivent faire le pas c’est-­à­-dire reconnaître leur forfait. Comme ce fut d’ailleurs dans certains pays qui ont passé par la voie de la justice transitionnelle pour solder leur passé. Mme la Présidente que leur répondez-vous par rapport au cas togolais ?

Nous sommes dans le cas de la justice transitionnelle. Elle est différente de la justice classique. J’ai souvent l’habitude de dire que chaque victime connaît son « bourreau ». En matière de justice de justice transitionnelle, le responsable, c’est l’Etat. Car c’est lui qui a laissé tous ces présumés auteurs commettre leurs forfaits, pour n’avoir pas mis suffisamment de moyens pour protéger les uns et les autres. Mais si une victime connaît bien l’auteur de ses préjudices et veut saisir la justice, l’Etat est obligé de l’assister pour que le droit soit dit.

Quel est votre message de fin Mme la Présidente ?

D’abord, nous devons accepter de tourner la page et de regarder vers l’avenir. Bien vrai, nous savons tous que c’est dur. Nous devons éviter la vengeance, éviter à tout prix de chercher à connaître les présumés auteurs. C’est une manière de rouvrir les plaies, c’est une manière d’ouvrir la porte à d’autres conflits. A l’endroit des victimes, nous leur disons : patience, compassion et foi en Dieu. La vengeance n’est pas de ce monde. Les présumés auteurs se connaissent et parfois, ils voient leurs victimes. Et vous pensez qu’ils ont le sommeil facile la nuit ? Prions pour l’âme de tous ceux qui ont été enterrés à tort et surtout l’âme de ceux qui vivent encore avec ce poids lourd sur le cœur. Car les victimes ont le cœur moins lourd que les présumés auteurs.